Reportage
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Dans le Puy-de-Dôme, un semi-remorque médicalisé s’est installé deux jours durant pour proposer gratuitement un dépistage du cancer du poumon. Expérimenté dans toute la région, ce dispositif unique en Europe cible les fumeurs et anciens fumeurs vivant loin des centres de santé.
A l'intérieur du «Pneumobile», une grande salle principale équipée du scanner pour dépister le cancer du poumon. ( Albin Bonnard/Hans Lucas)
Derrière la salle polyvalente du Moulin de l’étang, à Billom (Puy-de-Dôme), un père et son fils s’occupent d’un cheval à la lisière du parking. Les deux semi-remorques rouges et jaunes du cirque Zavattony sont entourés de plusieurs caravanes. Sagement garé à côté, l’immense semi-remorque bardé de bleu et blanc, portant la livrée des Hospices civils de Lyon, est un havre de fraîcheur climatisé. Ce mercredi 25 juin au matin, il fait un bon petit 37 °C à l’extérieur. Ce véhicule, c’est le «Pneumobile», qui sillonne la région Auvergne-Rhône-Alpes pour proposer gratuitement un dépistage du cancer du poumon.
Dans les bâtiments en dur du Moulin de l’étang, les coordinateurs de santé du territoire Carine Chossidière et Fabrice Bretel accueillent les candidats au bilan de santé respiratoire. En chemisette bleue, Alain, 70 ans, retraité de chez Michelin, accepte un verre d’eau. Il arrive du village d’Egliseneuve-près-Billom. Il a écrasé son dernier mégot voilà une dizaine d’années. «C’est la trouille médicale qui m’a fait arrêter : j’avais des petites douleurs, et puis je me suis rendu compte que c’était des contraintes, aller acheter des cigarettes, l’odeur…» Le tabagisme, c’est du passé, mais il est content de pouvoir faire un petit bilan. Il n’a jamais passé ce genre d’examen. Les critères pour participer sont stricts : avoir entre 50 et 74 ans, être encore fumeur ou avoir arrêté il y a quinze ans ou moins, avoir fumé au moins dix cigarettes par jour pendant vingt ans ou plus.
Pour vérifier son éligibilité, juste avant de l’envoyer dans le Pneumobile, Marie, attachée de recherche, effectue un premier entretien. Le semi-remorque médicalisé est une expérimentation unique en Europe, prévue sur trois ans, pour faire de la prévention et du dépistage en allant à la rencontre du public, en particulier auprès des populations défavorisées, souvent éloignées des centres médicaux, tant géographiquement que socialement. En plus du bilan respiratoire, les patients répondent à des questions plus larges sur leur santé ou celles de l’indicateur Epices, qui mesure la précarité sociale.
«Il y a plus de 30 000 cancers du poumon par an en France. Le camion, c’est un scanner, mais aussi une action sociale : on veut voir si on peut toucher des gens qui sont en dehors des circuits de soins», explique le professeur Pierre-Jean Souquet, du CHU de Lyon. A Manchester, ils ont mené la même étude : sept camions ont sillonné la région. Là où des gens n’auraient jamais eu l’idée de passer un scanner en ville, ils se disent, en voyant le bus : “Tiens, c’est l’occasion".» L’équipe espère joindre au moins 20 % de publics précaires. Le projet permettra aussi d’évaluer s’il est plus efficace de se déplacer vers les habitants, plutôt que d’attendre qu’ils viennent à l’hôpital.
«La mobilité des habitants et le manque de professionnels de santé nous inquiètent. Nous sommes très mobilisés sur ces actions de prévention», explique l’adjoint au maire, Daniel Dumas. Faute de transports en commun, une partie de la population ne peut pas se rendre à Clermont-Ferrand pour consulter ou passer des examens. Michel, gros fumeur de 51 ans, n’a jamais passé de scanner de sa vie. Tout de noir vêtu, il plaisante au moment de sortir sa carte vitale et sa carte d’identité. «Je suis une sale bête, j’ai tout sur mon téléphone en numérique ! Ça embête les gendarmes : il y a un QR code mais ils n’ont pas les outils pour le scanner.» Il répond patiemment pendant que l’assistante détaille les examens : souffle, cholestérol…
Décryptage
Dans le camion flambant neuf, quatre professionnels de santé l’accueillent : un médecin, une infirmière, un aide-soignant et la manipulatrice en imagerie médicale. La petite équipe va sillonner toute la région. La semaine dernière, ils étaient logés à l’hôtel. Ici, ce sera dans des chalets du camping. «Il faut être prêt à ne pas voir sa famille le soir, à ne pas compter ses heures, et à être multitâche», précise l’aide-soignant Lionel Klein, couteau suisse du groupe. Ce mercredi matin, le wifi était en panne : ils se sont débrouillés. Lorsque le camion s’installe, il faut assurer les branchements d’électricité, d’eau, caler le semi-remorque.
Dernière arrivée de la matinée, pimpante avec ses petites lunettes rouges, Séverine, 56 ans, auxiliaire de vie auprès de personnes âgées. Fumeuse invétérée depuis sa majorité, elle rêve de conseils, d’un déclic. «Ma mère est morte d’un cancer du poumon. Moi, j’essaie d’arrêter, mais c’est dur. Ça fait trois ans que j’ai arrêté l’alcool… du coup, arrêter le tabac, c’est compliqué.» Le médecin peut lui prescrire des aides à l’arrêt du tabac, l’orienter et faire le lien avec les professionnels de santé du territoire. Sur les deux journées de consultation, autant d’hommes que de femmes se sont inscrits pour faire le bilan gratuit. La première matinée touche à sa fin, aucun patient n’a manqué à l’appel.
par Sonia Reyne, correspondante à Clermont-Ferrand
publié le 28 juin 2025 à 11h32